REPARER LA FAISABILITE : POURQUOI LES PPP AFRICAINS ECHOUENT — ET COMMENT Y REMEDIER

La plupart des PPP en Afrique ne survivent pas à l’étape de la faisabilité

Partout en Afrique, les gouvernements et les institutions de financement du développement (IFD) misent sur les partenariats public-privé (PPP) pour combler les déficits d’infrastructures critiques. Qu’il s’agisse de centrales électriques, de corridors de transport ou d’infrastructures numériques, les PPP promettent efficacité, innovation et capitaux privés.

Mais une réalité dérangeante, que beaucoup de décideurs et d’investisseurs reconnaissent à demi-mot, persiste : la plupart de ces projets ne dépassent jamais la planche à dessin.

Une étude de la Banque mondiale en 2023 sur les pipelines de PPP en Afrique subsaharienne a révélé une statistique préoccupante : seulement 20 % des projets atteignent la clôture financière. Les autres échouent – ou s’enlisent – durant la phase de préparation.

Ce qui rend cette situation si coûteuse, c’est que nombre de ces projets ont déjà absorbé des millions d’euros de financement pour études de faisabilité — provenant d’IFD, de bailleurs ou de budgets publics. Chaque projet abandonné laisse derrière lui une série d’études inutilisées, des honoraires de consultants engloutis et un capital politique dilapidé.

Ayant moi-même travaillé sur plusieurs maillons de la chaîne PPP — des revues internes gouvernementales au montage de projets en passant par la coordination avec les IFD — j’ai vu ce scénario se répéter trop souvent. Et le problème central n’est pas seulement la qualité des études, mais la manière dont la préparation est gouvernée.

Trois défauts systémiques

Alors, pourquoi tant de PPP africains échouent-ils avant même d’atteindre les investisseurs ? En surface, on invoque souvent des études faibles ou incomplètes. Mais en creusant, trois failles structurelles apparaissent :

Les fonds de préparation ciblent les mauvais projets

Une grande partie des budgets d’études est allouée à des projets attrayants politiquement, mais fragiles financièrement.

J’ai par exemple analysé l’historique de préparation d’un projet de route côtière à péage destiné à relier deux capitales ouest-africaines. Plus de 4 millions d’euros avaient été engagés en études préliminaires par divers bailleurs. Or, dès le départ, le projet ne reposait sur aucun modèle de revenus fiable, des prévisions de trafic irréalistes, et traversait des terres litigieuses. Il n’a jamais eu la moindre chance — mais le financement a continué, car le projet était politiquement visible.

Ce cas n’est pas isolé. Les « chouchous des bailleurs » (aéroports, lignes ferroviaires, villes intelligentes vitrines…) monopolisent l’attention, au détriment de projets plus modestes mais bancables : mini-réseaux d’énergie rurale, hubs logistiques, hôpitaux de district. Des projets qui, avec un soutien technique adapté, pourraient réellement atteindre la clôture financière.

La faisabilité devient un outil politique

Les études de faisabilité sont censées répondre à une question simple : le projet est-il viable économiquement, techniquement, juridiquement et financièrement ?

Mais dans la pratique, elles servent souvent un autre objectif : valider des décisions déjà prises. Dans plusieurs pays, j’ai vu des ministres remettre un projet à un conseiller avec cette instruction : « Trouve un moyen pour que ça marche. » L’étude devient alors un instrument de confirmation, non d’analyse.

Ce biais fausse les données, pousse les consultants à minimiser les risques, et conduit à des projets non bancables lancés en appel d’offres, puis rejetés par les investisseurs.

Absence de standard unifié pour la faisabilité

Chaque IFD, bailleur ou unité PPP semble avoir son propre « cadre de faisabilité ». Certains privilégient les aspects environnementaux et sociaux, d’autres les analyses coûts-bénéfices ou la structuration juridique. Cette absence de normes communes crée une fragmentation et de l’inefficacité.

Un cas emblématique : une concession aéroportuaire africaine où trois IFD ont financé différentes parties des études de faisabilité. Résultat : des prévisions de trafic contradictoires, des analyses juridiques redondantes et un modèle financier incohérent. Le sponsor privé s’est finalement retiré, invoquant une « gouvernance de projet non coordonnée ».


Comment combler ce fossé : il est temps de changer de paradigme

Si l’on veut que davantage de PPP africains aboutissent, la vraie question n’est pas « comment écrire de meilleures études ? » mais bien :
« Comment créer un écosystème plus intelligent de préparation de projets — qui priorise la viabilité, filtre les distractions, et aligne les incitations ? »


Trois idées concrètes pour une préparation plus efficace

Mettre en place des panels indépendants de revue de faisabilité

Pour dépolitiser la sélection des projets, les IFD et États devraient s’appuyer sur des panels tiers indépendants pour valider les études avant leur mise en appel d’offres. Ces panels, composés d’ingénieurs, de financiers et de juristes, ne mèneraient pas eux-mêmes les études, mais effectueraient une revue structurée selon des critères standardisés.

Un pays africain a testé ce modèle en 2022 pour un programme de PPP solaires. Le panel indépendant a rejeté 3 des 10 projets en phase conceptuelle, les jugeant « non viables » — évitant ainsi des mois de travail inutile. Les autres projets ont avancé et suscitent aujourd’hui l’intérêt d’investisseurs.

Adapter les études aux spécificités sectorielles

La faisabilité ne peut être uniforme. Un corridor de transport exige des projections de trafic complexes, des analyses foncières et des plans d’intégration intermodale. Un PPP en santé repose sur des conventions de services, des prévisions de fréquentation et des mécanismes de subvention publique.

Les IFD devraient donc promouvoir des modèles de faisabilité sectoriels — incluant matrices de risques types, modèles de revenus, et checklists juridiques adaptés à chaque secteur. Cela permet de gagner du temps et d’améliorer la précision des évaluations de risques.

Pour aller plus loin, les IFD pourraient co-développer une plateforme numérique dédiée à la préparation des PPP — avec des pools de consultants agréés, des guides sectoriels, des termes de référence types, et des retours d’expérience issus de projets réels. On pourrait imaginer une sorte de “GitHub de la préparation PPP” : un espace collaboratif et modulaire qui accélère le transfert de connaissances et harmonise les pratiques de faisabilité à l’échelle du continent.

Conditionner le financement de la faisabilité aux résultats

Nous devons cesser de considérer les études de faisabilité comme des coûts irrécupérables. Les institutions de financement du développement (IFD) devraient plutôt adopter des fonds de préparation liés à la performance c-à-d des mécanismes dans lesquels les consultants sont rémunérés de manière progressive, mais seulement si leur travail respecte des critères de qualité clairs et indépendants à chaque étape.

Cette approche donne déjà des résultats sur des marchés d’infrastructure comme la Colombie et l’Indonésie. Elle permet de passer d’une logique de volume à une logique de valeur, en récompensant les études de faisabilité qui :

1) Identifient les obstacles majeurs dès la phase de préfaisabilité,

2) Fournissent une analyse rigoureuse et bancable lors de la faisabilité complète,

3) Attirent des offres crédibles au moment de la passation, et

4) S’alignent avec les termes finaux du contrat à la clôture financière.

Point essentiel : les paiements doivent être maintenus même si le projet est légitimement abandonné, à condition que l’analyse soit rigoureuse. L’objectif n’est pas de forcer la concrétisation de tous les projets, mais de récompenser la rigueur technique et de décourager les interférences politiques.

Autrement dit, si l’étude est solide, l’équipe est payée, que le projet avance ou non. C’est ainsi que l’on fait passer la préparation des PPP d’un exercice bureaucratique à une discipline axée sur les résultats.


Un modèle qui fonctionne : les enseignements du NEPAD-IPPF

Heureusement, un modèle opérationnel existe déjà : le Fonds de Préparation des Projets d’Infrastructure du NEPAD (NEPAD-IPPF), piloté par la Banque africaine de développement.

Plutôt que de financer toute demande d’étude, le NEPAD-IPPF commence par aider les gouvernements à prioriser les projets selon leur maturité et leur impact potentiel. Il cofinance ensuite les études avec le secteur public, créant ainsi une redevabilité partagée.

Le résultat ? Plusieurs projets PPP en transport et énergie en Afrique de l’Est et australe ont émergé grâce à cette approche — y compris des lignes de transport électrique transfrontalières et des extensions portuaires. Le NEPAD-IPPF évite la capture politique en maintenant les activités techniques à distance des cabinets ministériels.

En somme, ce modèle est reproductible : aligner les intérêts dès l’amont, cofinancer la préparation, et valider rigoureusement les projets.


L’Afrique ne peut plus se permettre des projets morts-nés

Si l’on veut faire passer les PPP africains à l’échelle, il faut plus que de la volonté politique ou du capital : il faut des pipelines bancables. Cela implique de transformer en profondeur la manière dont la faisabilité est pensée, financée et gouvernée.

Ayant conseillé des autorités publiques, structuré des PPP et travaillé en étroite collaboration avec des institutions financières de développement (IFD), j’accompagne aujourd’hui mes partenaires sur les volets suivants :

  • Audits de faisabilité : Revue critique des hypothèses techniques, juridiques et financières afin de détecter les signaux d’alerte dès l’amont.

  • Structuration de fonds de préparation : Conception de mécanismes de financement à risques partagés, axés sur les résultats et non sur les activités.

  • Réduction du risque politique : Mise en place de cadres de gouvernance pour limiter les interférences et préserver la confiance des investisseurs.

Le message aux IFD, aux États partenaires et aux investisseurs est simple : cessons de gaspiller des ressources dans des études vouées à l’échec. Construisons ensemble un pipeline plus intelligent, plus équitable et réellement orienté vers les résultats.

Par Arnold A. KAMANKE